"Le prédateur a pris contact avec notre compte" : avec un faux profil d’enfant, l’association la Team Moore piège un pédocriminel en Aveyron

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  • Un homme de 55 ans a été condamné à un an de prison avec sursis après le signalement de l'association La Team Moore.
    Un homme de 55 ans a été condamné à un an de prison avec sursis après le signalement de l'association La Team Moore. Centre Presse Aveyron - José A. Torres
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L'homme a été jugé et condamné. Pour la première fois depuis sa création en 2019, l'association la Team Moore a repéré et piégé un pédocriminel basé en Aveyron. Avec des captures d'écran de conversations sur les réseaux sociaux à l'appui, un signalement a été transmis au parquet de Rodez, qui a été très réactif. Entretien avec Neila Moore, la présidente de l'association.

Récemment, vous avez signalé à la justice un prédateur sévissant en Aveyron, ce qui a mené à sa condamnation. Racontez-nous...

Tout à fait, c’était la première fois qu’on effectuait un signalement dans le secteur de Rodez. Et la justice a été très réactive. Le prédateur a pris contact avec notre faux compte sur les réseaux sociaux le 17 février 2024. Il disait habiter à Rodez, sa proie, une enfant de 12 ans, était basée à Toulouse.

Et ça a été très vite, l’homme n’a pas caché son identité et a proposé rapidement un câlin à l’enfant. Dans l’ordre, il lui a demandé des photos de son sexe et de son corps nu. Il lui dit qu’il veut lui envoyer des images nues de lui, il dit se masturber en pensant elle [...] La discussion tourne à la proposition de rapport sexuel. Il envoie une photo à caractère pornographique en prétendant qu’il s’agit de sa petite amie âgée de 12 ans.

Il n’a fallu que quelques jours pour faire le signalement. On a joint 12 captures d’écran dans le dossier, alors que parfois nous en avons des centaines qui résument des discussions qui s’étalent sur des semaines et des mois. Le signalement a été fait le 21 mars. Le 3 avril, la police nous a dit que le prédateur avait été condamné.

Qu'est-ce que la Team Moore et depuis quand existe-t-elle ? 

Le collectif est né à La Réunion. Un Toulousain d’origine, qui y résidait depuis 17 ans, connaissait une maman dont la fille avait été abordée par des prédateurs sur internet. Il a alors créé un faux profil virtuel, et très vite il a été contacté par des dizaines de prédateurs. J’ai fait la même chose, avec le même constat. C’est comme ça que tout a commencé en avril 2019.

Comment faire pour traquer les pédophiles tout en respectant la loi ?

On s’inspire des chasseurs de pédophiles qui agissent au Royaume-Uni, mais en s’adaptant à la législation française. Premièrement, lors de la création d’un faux profil d’enfant, on n’utilise pas de vraies photos. Sinon, c’est de l’usurpation d’identité. On ne fait pas de demande d’ami, c’est le prédateur qui doit faire la démarche. On répète notre âge, entre 12 et 15 ans, constamment pour que le prédateur ne puisse pas dire ensuite devant la justice : "Ah, mais je ne savais pas qu’elle était si jeune". Et enfin, on ne divulgue jamais l’identité du mis en cause ni les discussions sur internet.

Malheureusement, des gens ont voulu nous imiter mais n’ont pas respecté ces cadres juridiques. Certains ont été poursuivis pour incitation à la violence en partageant des captures d’écran des conversations qu’ils ont eu avec des prédateurs sur internet, ou en dévoilant leur identité.

Comment procédez-vous ? Avez-vous recours aux réseaux sociaux ou encore au dark web ?

Non, on ne travaille pas sur le dark web. Déjà, parce que je ne sais pas comment y aller. Mais surtout parce que les prédateurs rôdent là où se trouvent les enfants. Donc surtout sur les réseaux sociaux. C’est là qu’on enquête, en se basant uniquement sur les informations publiques qui peuvent mettre la puce à l’oreille, sur les profils de potentiels prédateurs.

Nous sommes aujourd’hui 53 membres dans le collectif, qui est d’ailleurs devenu une association en janvier 2024. On s’organise comme une entreprise avec des gens qu’on a formés. Nous avons les intercepteurs, qui "jouent" les enfants virtuels. Il y a les enquêteurs qui repèrent les profils, ceux qui assurent la sécurité informatique, et ceux qui s’occupent de la partie administrative du signalement.

Un an de prison avec sursis

Le prévenu de cette affaire jugée à Rodez et initiée par la Team Moore, est un homme de 55 ans, résidant en Aveyron. Il a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis, assorti de deux ans de mise à l’épreuve. Il a écopé d’une obligation de soins, d'une obligation de travail, et d'une interdiction d’entrer en contact avec des mineurs.

Son téléphone portable qui a été utilisé pour l’infraction a été détruit.

Certaines instances prennent-elles vos signalements plus au sérieux que d’autres ?

Avec le parquet de Rodez, c’était une première pour nous. Dans d’autres départements, on a pris un abonnement… Par exemple, à Charleville-Mézières dans les Ardennes, pas mal aussi en Haute-Saône, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Nord…

Les premières années, on n’était pas pris au sérieux. Maintenant, ça se passe généralement très bien, la grande majorité de nos signalements sont examinés. Quand ce n’est pas le cas, forcément, il y a énormément de frustration. Je me dis toujours qu’un enfant va se faire violer, mais j’ai fini par accepter que c’était du ressort de la justice à partir du moment où on avait transmis le signalement.

On a eu un exemple à Nîmes. Un prédateur se faisait passer pour une mineure, c’est quelque chose qu’on voit souvent. Il n’y avait pas de délit flagrant, alors on a organisé une rencontre en prévenant les forces de l’ordre. C’était en mai 2021, l’homme a été placé en garde à vue. Mais deux ans plus tard, on a appris qu’il avait été condamné à 17 ans de prison ferme. La peine me paraissait très élevée, en se renseignant on a appris que l’homme était un violeur… Et qu’il était passé à l’acte avant, mais aussi après, sa garde à vue de 2021.

On faisait plus de rencontres au début, pour bien montrer que les prédateurs ne s’arrêtent pas à la conversation virtuelle. De plus, la peine encourrue est plus lourde lorsqu’il y a un rendez-vous.

Avec le temps, votre action a clairement gagné en crédibilité...

L’année passée, on a été reçu par le ministère du Numérique qui nous a promis de nous consulter pour le projet de loi "réserve citoyenne". Ça avait commencé quand on avait rencontré la députée Maud Petit (Modem) en 2021. Oui, la justice nous écoute de plus en plus, mais avec ce projet de loi on pourrait acquérir un vrai statut de signaleur. Cela faciliterait grandement nos signalements, et ça accélérerait l’intervention de la justice qui aujourd’hui n’a pas assez de moyens pour lutter contre la pédocriminalité en ligne.

Nous avons fait la demande au ministère de l’Éducation nationale pour faire de la prévention dans les écoles. Avoir un téléphone, c’est très pratique quand on est jeune, mais les élèves et les parents doivent être tenus informés de certains risques.

Qu'est-ce que le projet de loi "Réserve citoyenne du numérique" ?

Le projet de loi "Réserve citoyenne du numérique" est porté par l’actuel ministre du Numérique Jean-Noël Barrot. Il "rassemblera les associations et les acteurs engagés dans l’apaisement de l’espace numérique", avait-il confié au journal Le Monde en septembre 2023, notamment après les émeutes de l’été qui avaient éclaté faisaint suite à la mort de Nahel, un adolescent tué à Nanterre par le tir d’un policier.

"Ces acteurs pourront devenir […] ce que l’on appelle des 'signaleurs de confiance', c’est-à-dire un point de contact pour les Français dans leurs signalements aux plateformes, les notifications de ces signaleurs de confiance étant traitées avec un niveau de priorité plus élevé".

"L'avenir, c'est la formation de cyber-enquêteurs"

"La piste a été exploitée très rapidement", confirme le procureur de la République de Rodez, Nicolas Rigot-Muller. Même si la justice reste "très prudente" sur les signalements citoyens pour ne pas se faire avoir "par des profils malfaisants qui se cachent parfois dans les associations". 

"On vérifie tout, et toutes les dénonciations sont prises au sérieux. Bien sûr, quand on a des preuves sérieuses, la machine se met en marche encore plus vite". Si le procureur salue l'issue de ce signalement de la part de l'association La Team Moore, il ne cache pas qu'il préferait "se passer de l'aide des associations" dans la mesure du possible. "L'avenir, c'est la formation de plus en plus de cyber-enquêteurs, ce serait plus simple". En Aveyron, des équipes formées existent déjà à Rodez et à Villefranche-de-Rouergue.

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