Le jour où : Larzac, le serment des 103…
Ne jamais quitter sa ferme, quel que soit le prix donné ». Le 28 mars 1972, 103 des 107 paysans du Larzac signent un acte fondateur du mouvement de défense du Larzac qui durera dix ans. Et qui sans nul doute a scellé le socle de leur victoire. Et fait du Larzac ce qu’il représente toujours aujourd’hui : une terre de luttes.
Petit retour en arrière, avant ce 28 mars 1972.
Cinq mois auparavant, Michel Debré, le ministre de l’Intérieur, annonce l’extension du camp militaire du Larzac. Quatorze milles hectares destinés à devenir un champ de manœuvres militaires avec expropriation des paysans à la clé. C’est devant leur poste de télé, le soir, alors que le froid est en train de gagner le plateau, que ces paysans du Larzac, apprennent la nouvelle. Un coup de massue pour ces agriculteurs, dont quelques-uns viennent tout juste de s’installer et relancer l’activité agricole sur ce causse exigeant et parfois tempétueux.
Un coup porté également à Roquefort et au tourisme estime-t-on dans le département.
Mais qui va marquer le début d’une histoire unique. Car ces agriculteurs qui ne se connaissaient pas vont faire front.
Agir dans la non-violence
Marysette Tarlier, l’avoue humblement dans le film documentaire « Tous au Larzac » de Christian Rouaud. « Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai pensé, comme nous sommes de l’autre côté de la nationale par rapport au camp, nous ne serons pas inquiétés… Mais quelque chose n’allait pas au fond de moi. Et les autres ? »
Les agriculteurs, auxquels la « mauvaise » nouvelle a coupé l’appétit se retrouvent le lendemain. Discutent. Echangent.
« On ne se connaissait pas. On vivait à côté, mais on ne se connaissait pas » raconte Léon Maillé, agriculteur du cru, qui deviendra une des figures emblématiques de cette bataille du Larzac. Certains de ces agriculteurs ne s’apprécient guère, même. Mais tous en arrivent vite à la conclusion que s’ils veulent gagner la bataille, c’est ensemble qu’ils devront agir. Et dans la non-violence…
Ce dernier point, c’est Lanza Del Vasto, philosophe italien et apôtre de la non-violence qui est venu leur souffler. Et ce, au terme d’un jeune de quinze jours sur le Larzac, auquel quelques paysans ont participé et s’en sont trouvés transformés.
Unis donc. En recueillant ces 103 signatures, le 28 mars 1972, les paysans du Larzac sont dotés de la plus belle arme qui soit : la solidarité sans faille. « Tant que l’on a les pieds sur la terre du Larzac, on ne nous la prendra pas » disait un des agriculteurs. Cela donne l’élan à une année 1972 déterminante à plus d’un titre pour cette bataille du Larzac.
Le 14 juillet, une soixantaine de tracteurs quittent le plateau pour Rodez. Ce qui s’apparente à une véritable expédition. Où plane l’incertitude. Début des années 1970, la communication n’est en effet pas aussi fluide qu’aujourd’hui. Sur le Larzac, on ignore comment est perçu le mouvement à la « capitale ». Lorsque les tracteurs arrivent au pied de la cathédrale, ce sont des milliers de gens qui acclament les paysans du Larzac. « On a gagné » s’est même exclamé l’un des paysans du Larzac à la vue de cette foule… Ce jour sera aussi marqué par le discours de Robert Gastal qui signe la détermination des agriculteurs, prêts à aller à Paris pour défendre leur terre.
Une soixantaine de brebis au pied de la Tour Eiffel
Paris justement, le 25 octobre de cette année 1972. Des gars du Larzac parviennent à faire gambader une soixantaine de brebis au pied de la Tour Eiffel. Les 103 sont alors en train de gagner la bataille de l’image. De l’opinion publique. Ils ne le savent cependant pas encore, la lutte ne fait que commencer.
Au fil des ans, le doute les a cependant parfois assaillis. Quelques-uns ont même lâché prise face à la pression, au poids du temps, et à l’ampleur que pouvait prendre ce mouvement inédit en France. Mais dix ans plus tard, en février 1981, quelques mois avant l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, gage de victoire pour les paysans du Larzac, les 103 et ceux qui se sont installés dans la décennie qui vient de s’écouler, comme les Bové et autres Roqueirol, décident de voter à bulletins secrets sur la « mini » extension du Larzac qui leur est proposée. Une dernière proposition de l’État à laquelle beaucoup de monde consent, dont le syndicat agricole majoritaire du département et le Département. Près de dix ans après le 28 mars 1972, le contre l’emporte à 99 %…
« Larzac, Terre de lutte »
C’est sous ce titre que Pierre-Marie Terral, docteur en histoire et enseignant en Aveyron, a publié un ouvrage qui relate parfaitement cette décennie de « contestation devenue référence ». Publié en 2017, cet ouvrage offre une analyse complète de cette lutte, innovante à, plus d’un titre, ou l’altermondialisme prend tout son essor. « La lutte du Larzac, un épisode qui appartient à l’histoire sociale et politique nationale, est emblématique d’enjeux écologiques et sociétaux » écrit-il.
Se pencher sur cette histoire qui s’est étirée de 1971 à 1981 nous fait entrer en résonance avec notre monde d’aujourd’hui…
Léon Maillé : « Je ne pensais pas que cela serait si important »
À 76 ans, Léon Maillé a toujours l’esprit vif. Quand on lui parle de cette date du 28 mars 1972, cela ne lui dit certes pas grand-chose. Mais le serment des 103, bien évidemment que si. « Mais on faisait tellement de choses à ce moment-là. On signait tellement de trucs… Ce serment des 103 était une chose parmi d’autres », en rit-il. « Je ne pensais pas honnêtement que ce serait si important. En tout cas à ce moment-là ».
Il n’empêche, presque cinquante ans après, ce ciment-là est bel et bien le socle de la réussite des paysans du Larzac. « Pierre Bonnefous, le prêtre, le raconte bien dans le documentaire. Mais c’est vrai qu’avant ce moment-là, on ne se connaissait pas. On se voyait à la messe. On se vouvoyait » souligne Léon Maillé. Toutefois, pour le paysan de Potenssac, c’est « l’épisode de la prison », survenu quelques années plus tard, qui scellera l’amitié. « À partir de là, on s’est embrassés » dit-il. « Oh, il y a bien des moments où on avait envie de lâcher un peu… mais c’est ceux qui venaient d’arriver, les Bové, les Roqueirol qui ne voulaient rien lâcher comme on dit aujourd’hui » raconte Léon Maillé.
Pas avare d’anecdotes et de bons mots, Léon Maillé reconnaît que ce bloc a quand même fait la différence.. « Quelques années après son élection, François Mitterrand est venu sur le Larzac. Il a bu le café chez Marisette Tarlier. Une agricultrice qui était là, a lancé à Mitterrand, ‘‘Merci de nous avoir laissé le Larzac’’. Vous savez ce qu’il a répondu ? ‘‘Vous ne m’avez pas laissé le choix’’ » raconte Léon Maillé en éclatant de rire.
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