Violences chez les jeunes : "Les trolls ont débordé internet et les réseaux sociaux, créant une "rageosphère" intense", analyse le criminologue Alain Bauer

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  • "Les parents ont parfois peur de leur propre enfant".
    "Les parents ont parfois peur de leur propre enfant". MAXPPP - Vincent Isore
Publié le , mis à jour
Recueilli par Philippe Minard (ALP)

Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, est l’auteur des ouvrages "Tu ne tueras point" et "Au bout de l’enquête", parus aux éditions Fayard et First.

Assistons-nous à une banalisation de la violence chez les jeunes ?

Le phénomène cumulatif émeut naturellement, surtout du fait de la létalité de ces actions. Il est incontestable qu’elles marquent une dégradation comparable à celle connue dans le reste de la société. L’indicateur le plus fiable du niveau de violence d’une société, le nombre d’homicides, a connu un effondrement pendant des siècles : le plus bas est atteint en 2012, à moins de 700, mais remonte à plus de 1 000 en 2023 et même 5 000, plus haut niveau historique, en intégrant les tentatives. Il y a donc une dégradation générale, chez les jeunes comme dans le reste de la société.

Cette violence est-elle en nette augmentation ?

Sur cinq siècles, on est passé, en période de paix, de 150 homicides pour 100 000 habitants à moins d’un. Mais il existe une forte reprise des homicidités (homicides et tentatives), depuis une dizaine d’années. Si les cycles varient, celui que nous vivons montre une véritable dégradation.

Les réseaux sociaux contribuent-ils à cette évolution ?

Indiscutablement, les "trolls" ont débordé internet et les réseaux sociaux, créant une "rageosphère" intense, dépassant par leurs effets le harcèlement scolaire déjà profondément ancré. L’addiction aux réseaux et la puissance des dispositifs de diffusion de la haine en ligne contribuent largement à la détérioration des relations et surtout à la permanence des agressions en ligne, qui poursuivent les victimes hors des établissements, contribuant à une spirale de violence sans fin.

Faut-il légiférer sur les réseaux sociaux et décider par exemple de supprimer l’anonymat ?

Il semble en tout cas indispensable de créer une identité numérique associée à l’état civil, qui impose la responsabilisation des auteurs d’insultes et de menaces. Il est nécessaire d’établir un code de la route numérique, pour permettre à chacun de circuler en sûreté et en sécurité.
Et sans doute aussi de réduire l’intensité de l’addiction aux outils.

Les parents sont-ils aussi largement responsables, comme le dit le garde des Sceaux ?

Ils le sont par nature. Mais dans de nombreux cas, ils sont plus "licenciés" que démissionnaires. Ils ont parfois même peur de leur propre enfant. Si la sanction est parfois nécessaire, l’assistance éducative semble plus adéquate. Les pratiques sociales ont beaucoup évolué dans le temps, transformant souvent les parents en consommateurs d’école et provoquant les effets associés dans la relation avec l’institution scolaire.

Quelle responsabilité a le communautarisme dans le comportement des jeunes ?

La France est un pays curieux, où l’État a créé la nation et en assure la colonne vertébrale, à la différence des nations fédéralisées, qui se sont dotées d’une structure commune. Tout affaiblissement de l’État central et de ses outils intégratifs provoque des effets pervers puissants. Considérant la laïcité comme relevant de l’évidence, ne sachant plus si le pays choisit l’intégration ou le différentialisme, le processus d’acceptation du cadre commun s’est affaibli et les communautés se sont affirmées, remplaçant le vide laissé par l’État.

La justice pour les mineurs est-elle en phase avec la réalité ?

Plus qu’on ne le dit. Mais entre rien et trop, elle a le plus grand mal à réagir vite et à s’adapter.
Corseté par le législateur, qui fait la loi, et par une jurisprudence née contre les excès policiers de l’époque, le système est dépassé. Il est lent mais il punit de plus en plus fort des auteurs de plus en plus jeunes.

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Les commentaires (2)
RienCompris Il y a 12 jours Le 20/04/2024 à 08:24

Les délinquants ont un excellent ministre de la justice. Ils ont tout intérêt à le conserver.

Jema Il y a 13 jours Le 19/04/2024 à 19:34

Lorsque j'étais jeune je me suis frotté au travail physique et aux intempéries, ça m'a forgé.